La presse, les blogs, les posts regorgent d’informations ou de suppositions sur le monde de demain. Cette terminologie laisserait entendre que tout le monde va d’un seul homme se diriger vers un nouveau futur que les uns et les autres espèrent meilleur. Cela relève sans doute de la méthode Coué et comme nous avons besoin actuellement de bonnes nouvelles, nous sommes prêts à les entendre. Mais à ce stade peut-on déjà parler d’un monde de demain ou plutôt des mondes de demain ? Quand les problèmes se posent de façon binaire, ils semblent plus simples à résoudre. On est pour ou on est contre, c’est blanc ou noir, bien ou mal, etc… Et notre cerveau préfère bien souvent ce mode 1 comme l’appelle Kahneman où il ne sert à rien de trop réfléchir, on suit le pilote automatique en restant coincé dans nos certitudes. De fait nombreux commentateurs de la situation voient dans l’épidémie la confirmation de leur point de vue et rares sont ceux qui sont prêts à remettre profondément en cause leur logiciel. Pourtant la crise liée au Coronavirus est une parfaite illustration du monde moderne actuel que l’Army War College avait synthétisé dans l’acronyme devenu célèbre : VUCA. Pour gérer ce monde volatile, incertain, complexe et ambigu, notre cerveau ne peut pas se satisfaire de solutions binaires, il doit solliciter son cortex préfrontal et passer en mode probabiliste. Probabiliste parce chaque tendance fait souvent émerger son contre-mouvement. Probabiliste parce que sur chaque question clé qui taraude la société, l’unanimité se fait rare et qu’il existe généralement un continuum de points de vue d’un extrême à l’autre. « There is no society » cette sentence célèbre de Margareth Thatcher s’est imposée partout. On pourra le regretter mais le sens du bien commun s’est délité au profit des intérêts catégoriels. Ces tensions qui existaient avant le Covid ne sont pas en train de disparaître, elles pourraient s’exacerber avec la crise qui contribue à renforcer les inégalités entre les Etats et au sein des pays. A ce jour, le monde de demain n’est donc pas à notre porte mais les mondes de demain pourraient se multiplier rapidement.

Du côté des entreprises, après avoir géré la crise, il est temps de se préparer à ces « après ». Trois points clés sont à intégrer à cette démarche :

1Lister de façon extensive les impacts potentiels

il s’agit de cartographier tous les impacts que cette crise peut avoir dans le temps sans s’arrêter trop vite aux tendances trop évidentes mais en allant aussi chercher les contre-mouvements possibles, les spécificités par cibles, les spécificités par géographies, les signaux faibles que la data doit aller traquer… Après avoir fait cet effort de mapper les possibles, il faut faire des probabilités ! Chaque tendance à ses chances et donc sa probabilité plus ou moins forte de se concrétiser. Il faut les prendre en compte. Pour réduire la complexité de l’approche, on pourra comme dans toute bonne approche stratégique, construire des scenarii incarnant ces différents possibles et là aussi les pondérer suivant leur probabilité.

2Aller capter les opportunités qui se cachent dans cette crise.

Dans les banques, les rentabilités vont être sous forte pression. Au-delà des tendances défavorables liées aux taux bas et à l’encadrement plus fort des tarifications, la remontée sensible du coût du risque va peser sur les résultats. Sans nul doute, la tendance à vouloir couper dans certains coûts va se renforcer en particulier dans les dispositifs d’agence physique où la densité bancaire en France reste très élevée. Mais au-delà de ces efforts d’optimisation, les entreprises devraient passer plus de temps à se pencher sur les évolutions possibles des comportements de leurs clients pour répondre aux enjeux des mondes de demain. La crise du SRAS avait permis l’explosion des géants chinois. Si la réponse à la crise n’est qu’une nouvelle passe de réduction de coûts, les grandes gagnantes ne seront-elles pas les néobanques qui savent vraiment faire de la banque à bas coût et donnent le tempo des évolutions numériques. La question du mix humain / digital et de leur complémentarité va être au cœur des questionnements sur les modèles économiques. Un vaste champ d’investigation qui rebat les cartes des schémas de distribution de demain et des compétences attendues dans les réseaux.

3Bâtir des organisations résilientes.

Cette crise ne sera pas la dernière. C’est le propre du monde VUCA. Les schémas d’optimisation totale des chaînes de valeur ont montré leurs limites dès qu’un sérieux grain de sable vient se coincer dans les rouages de la mécanique. Construire des entreprises résilientes aux chocs va devenir une obligation. Dans les banques, le formidable renforcement des corpus de contrôle ont tenté de maîtriser une panoplie de plus en plus large de risques (risque de crédit, risques de marchés, risques opérationnels…). Cela s’est traduit par une complexité accrue du corpus de réglementation. Malheureusement, la réglementation semble toujours arriver avec un wagon de retard. Alors plutôt que d’attendre les futures impulsions réglementaires qui viendront certainement après cette crise, peut-on déjà retenir quelques principes de base pour l’entreprise bancaire résiliente des « demains » ? Pour ma part, je vois deux « probabilités fortes » sur ce sujet. Tout d’abord la banque des « demains » sera nomade, elle permettra à tous d’exercer son activité à distance grâce à la flexibilité de son système d’informations et à une panoplie large d’outils numériques. Cette souplesse permettra de repenser les organisations en les distribuant d’avantage. Le temps des grands regroupements d’équipes dans des back office ou des centres de relation clients imposants est sans-doute dépassé. La banque de demain renforcera l’autonomie de ses collaborateurs. Les procédures en place n’avaient pas prévu le Coronavirus et le confinement. Pourtant dans tous les réseaux, l’activité a continué. Bien sûr, les sièges ont été à la manœuvre pour établir des lignes directrices mais si globalement cela fonctionne cela vient aussi des capacités d’adaptation et d’autonomie des acteurs de terrain. Ce qui vaut pour les entreprises vaut pour les Etats. Un article du Frankfurter Allgemeine Zeitung incitait la France à réellement décentraliser… Les mondes des « demains » seront probablement plus éclatés que ceux d’aujourd’hui.