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Les banques et le greenwashing


Il y a quelques jours la Société Générale publiait sur LinkedIn le message suivant :

« Accélérer la transition énergétique, c’est aussi accompagner proactivement nos clients dans leur propre transformation. #Rapport intégré »

Sous ce message, défilaient plusieurs statistiques visant à démontrer l’investissement de la Société Générale dans la transition écologique : engagement de finance durable, statistiques de financement vert, classement dans le financement des énergies renouvelables.

Aussitôt les commentaires fleurirent :

  • Reclaim Finance rappelait les financements depuis 2016 de la Société Générale alloués à Total Energies, Exxon et BP ;

  • D’autres publiaient un graphe d’Oxfam France sur l’impact des banques sur le climat ;

  • Certains reprochaient à la banque le financement de projets particuliers comme le Dakota Acess Pipeline…

Bref autant le dire, tous les commentaires s’avéraient négatifs et pouvaient se résumer dans un des post laissé par un internaute visiblement excédé : « Bla, bla, bla, greenwashing ».

La question se pose donc : les banques font-elles du greenwashing ?

Pour bien répondre, il faut déjà comprendre ce qu’est le greenwashing. Regardons la définition qu’en donne Novethic :

« Le greenwashing (éco-blanchiment) est une méthode de marketing consistant à communiquer auprès du public en utilisant l'argument écologique. Le but du greenwashing étant de se donner une image éco-responsable, assez éloignée de la réalité... La pratique du greenwashing est trompeuse et peut-être assimilé à de la publicité mensongère.

Le terme "greenwashing" est souvent utilisé par des ONG pour stigmatiser les entreprises qui tentent d'afficher des préoccupations environnementales qu'elles sont loin d'avoir dans leurs pratiques. »

Le terme de greenwashing laisse entendre que derrière les statistiques affichées, rien ne se passe si ce n’est le « business as usual ». La polarisation sur quelques données positives cacherait une réalité moins reluisante. En réalité, la Société Générale fait et ne fait pas du greenwashing. Comme souvent la réalité se trouve dans les nuances de gris…

Il serait faux de dire que la banque ne fait rien pour améliorer sa contribution à un monde plus durable. Elle s’est volontairement engagée dans cette voie et l’intégration ESG est devenue un de ses trois piliers stratégiques qui irrigue de plus en plus ses politiques. La matrice de matérialité présentée dans son rapport intégré donne d’ailleurs une première indication macro de ses priorités.


Le renforcement des exigences de ses parties prenantes (clients, collaborateurs, régulateurs) la poussera comme toutes les banques à développer les initiatives en faveur de la décarbonation de l’économie.

Alors pour quelles raisons, voit-on fleurir des réactions virulentes à sa communication ?

  1. Le flou des normes :

Derrière les terminologies de transition écologique, finance durable, financement vert, label ISR, label Greenfin que met-on ? Le grand public s’y perd et l’absence de description précise des engagements entretient l’impression d’une opacité peut propice à la vérité. Prenons le cas de la finance durable. Celle-ci recouvre la finance solidaire, la finance responsable et la finance verte. Un investissement chez Total peut-il rentrer dans la catégorie « Finance durable ». Du point de vue des ONG, il est clair que ce n’est pas le cas pour autant du point de vue des gestionnaires d’actifs, la question fait débat. Les fonds les plus connus de la finance durable sont sans conteste les fonds ISR (plus de 1 000 fonds pour 662 Mds€ d’encours). Dans un article de H24Finance d’Avril 2022, la question est clairement posée à un large éventail de société de gestion, pour savoir si Total Energies peut faire partie de ces fonds. Pour une partie des gestionnaires, l’engagement de Total à investir dans les énergies renouvelables peut rendre éligible l’entreprise aux fonds ISR, pour d’autres Total étant mieux disant que d’autres pétroliers, l’approche « best in class » le qualifie pour intégrer un fonds ISR, quand d’autres finalement pointent du doigt l’hypocrisie de leurs confrères. Dans les faits, les souplesses de la gestion ISR qui n’exclue pas certains secteurs permet complètement d’intégrer Total à ces fonds. Le rapport de l’Inspection Générale des Finances pointe d’ailleurs du doit les limites de cette gestion. Citons un bref passage de son executive summary : « En effet, le label ISR fait à l’épargnant une promesse confuse. Il affiche une ambition d’impact social et environnemental mais ses exigences, fondées sur la notation ESG des émetteurs, ne sauraient garantir un fléchage effectif des financements vers des activités relevant d’un modèle économique durable ». Le flou de ces normes laisse une capacité d’appréciation voire de manipulation élevée mais les régulateurs veillent. La SEC a ainsi sanctionné la banque BNY Mellon pour diffusion d’informations inexactes sur leurs investissements ESG. De ce côté de l’atlantique, la filiale de gestion d’actifs de Deutsch Bank vient d’être perquisitionné par la police allemande pour vérifier si les critères ESG ont bien été appliqués…

  1. Je finance… ou pas

Dans les rapports intégrés des banques l’accent est mis sur les montants dédiés au financement de la transition énergétique. Les milliards de crédits sont ainsi alignés pour souligner l’investissement des banques à apporter leur contribution à la création d’un monde durable. Prenons le cas de BNP Paribas, la banque affirme haut et fort que son rôle est de « financer la transition vers une économie durable ». La banque met ainsi en avant ses investissements et ses financements en faveur de cette transition. Oui, les banques financent, la transition demande des investissements et les banques répondent « présent » car après tout c’est bien leur métier de financer les besoins de cash pour se transformer, innover, investir… Ne nous trompons pas, ce soutien et cette accélération du financement de la transition sont indispensables pour offrir des solutions décarbonées. Les ONG ne reprochent pas aux banques de soutenir les nouvelles filières mais elles pointent du doigt le retrait trop lent des secteurs contributeurs aux émissions de CO2. Ainsi au milieu des initiatives en faveur du financement de la transition, le seul engagement concret de réduction des financements de BNP Paribas est celui d’une baisse de 12% des engagements Oil & Gas entre 2020 et 2025. Sur la base d’engagements à fin 2020 de 27,5 Mds€ sur le secteur Energies hors électricité, la baisse proposée est de 3,3 Mds€ soit environ 40 ans pour sortir totalement du secteur… Pour le dire d’une façon moins agréable pour les banques, elles font leur métier de financeur ni plus ni moins. Elles mettent ainsi en avant leur pouvoir de dire « oui » pour les secteurs dits « verts » quand les ONG voudraient les voir dire « non » aux investissements « bruns ». Encore faut-il faire le tri entre le vert et le brun…

  1. La croissance plus que la science :

La taxonomie européenne cherche à répondre à ce dilemme en établissant une liste d’activités jugées adaptées pour faire face à l’urgence climatique tout en protégeant la population et l’environnement. Cet outil devrait permettre une bien meilleure transparence pour les financeurs et investisseurs. Hélas dans un vote du 6 Juillet 2022, l’industrie gazière et nucléaire a été intégrée dans la taxonomie « verte ». La France pour soutenir son industrie nucléaire face à l’Allemagne qui a tourné le dos à l’atome a fini par s’allier à Berlin pour acheter son accord en échange d’un soutien au gaz indispensable à court terme à l’industrie allemande. Bref, plus que la science, les tractations et les lobbys industriels l’ont emporté. Ce ne sont pas les connaissances scientifiques qui ont guidé les choix mais l’impératif de maintenir une croissance à tout prix. Si on veut bien s’arrêter deux minutes sur les chiffres, le gaz n’avait rien à faire dans ces secteurs dit favorables au monde durable.


Au fond c’est ce dernier point qui cristallise la différence de point de vue entre ONG et établissements financiers. Pour les banques, la croissance demeure un mantra indépassable. Il faut croître. Le plan stratégique de BNP Paribas (GTS) en est une parfaite illustration : G comme Growth ! Quand pour les ONG, sans toujours l’exprimer, la croissance infinie n’est pas compatible avec un avenir durable. D’un côté, la stratégie des petits pas : on fait quelques efforts sans changer les fondamentaux et on s’adaptera bien… De l’autre une transformation plus profonde pour réduire les empreintes carbone et matières de façon durable.

Cette différence de vision provient du cadre de référence qui n’est pas le même entre banquiers et ONG. Mais les choses changent, les banques se sont mises en mouvement et se forment aux enjeux environnementaux. Le Crédit Agricole a ainsi annoncé 100% de son Top 150 formé aux enjeux environnementaux. A 2025 tous ses collaborateurs auront eu une formation RSE. Les choses bougent. Peut-être pas assez vite, mais ces efforts de mise à niveau laissent présager une possibilité de dialogue constructif en mettant autour de la table banquiers, ONG, experts et sphère publique. Avec des décideurs mieux formés aux enjeux que posent le dépassement des limites planétaires, les banques regarderont peut-être d’avantage la situation avec le prisme de la transition nécessaire et accepteront l’idée d’une transformation plus rapide et radicale de leurs métiers. De toutes les façons, les régulateurs finiront bien par leur imposer cette métamorphose cahin-caha mais cela arrivera-t-il assez tôt ?

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